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Textes//Suite

Elle est là.

Sur le sable triste qu'a laissé la marée.

Elle ou son ombre, quelqu'un qui se ressemble de loin.

Un journal à la main qu'elle semble tenir à l'envers, elle se cache de la mer.

Quelle drôle d'idée! Qui fait cela?

Le temps est doux.

Le vent n'est pas celui violent que l'on a l'habitude de croiser par ici.

Il ne cogne pas, ni ne bouscule.

Il épouse et caresse aujourd'hui.

Deux choses sommes toutes bien étranges que j'essaie de fixer de mon ponton esseulé et sur lequel je dépense les quelques pièces de monnaie (ma fortune du moment) dans cette jumelle que cette ville a laissé là. Seule avec les hommes curieux. Lunette qui n'aurait pas cru non plus voir cette scène un jour.

Je ressors 1euro car le noir me prend l'oeil et j'ai envie de voir.

J'imagine une suite favorable à cette silhouette au loin.

De cette fille, je n'en vois que le dos.

Il semble fragile.

Usé.

Couvert et protégé par un simple linceul blanc, terni lui aussi par la crasse mer des bateaux de pêche.

Je comptes sur un mouvement,

Un faux geste pour en comprendre le sien. Ce journal à l'envers quand même...

Mais rien n'y fait.

Immobile comme la dernière vague de l'horizon marin que l'on ne voit jamais, elle m' inquiète maintenant.

Il faut que je descende.

Non, il faut que je la vois d'ici. Patience. Un événement se passera bien et je ne sais faire qu'attendre.

Mon oeil un peu sec est distrait soudain. Pas par elle (il faudra me tenir encore un peu), mais un homme qui rampe dans sa direction.

Quelle drôle d'idée de ramper aussi vite.

C'est moins que plus un homme donc, qui se meut vers elle sans pour autant déranger les oiseaux qui ne se tiennent pas très loin.

Eux-même semblent immobiles. Peut-être le connaissent-ils?

C'est ce que je suis (fébrilement et sans autres choix) obligé de penser.

Sa course serpentine se fait moins rapide maintenant. Il s'amuse, il zig- zag, il prend tout son temps qui ne sonne pas humain pour dessiner autour d'elle des cercles concentriques.

Tant de figures géométriques, tant de motifs possibles, tant de mots ou de lettres ou de signes ou d'autres choses, mais simplement des cercles, comme s'il voulait qu'elle naisse.

Elle ne le voit pas non plus.

Ne tourne pas la tête dans une direction que je pourrais voir.

Elle est... Toujours...

Le noir dans l'œil encore une fois.

Je fouille ma poche, trouve un briquet vide, insiste un peu mais rien d'autre.

Je fouille l'antre de mon jean, un vieux mouchoir fragmenté, l'encre de mon stylo fuyant sur mes doigts enfermés. Mais rien d'autre.

Je panique quelque peu... Et si pendant cette débâcle, elle bougeait.

Si en un instant elle tournait son visage, l'arrachant à l'eau et au soleil pour me livrer un oeil, une bouche un nez et tout ce que compte un visage. Celui d'une fille, avec ses traits, comme son histoire.

De loin et dans le stress, je l'aperçois à peine, mais il me semble qu'elle tombe à la renverse.

Mes gestes s'accélèrent, mes poches gigotent maintenant dans le tintamarre assourdissant qu'enfonce dans mes oreilles (déjà engourdies par le chuchotement du vent) le bruit de mon désir. Des pièces! Je jubile, les sors en grandes pompes, beaucoup s'effondrent à terre mais dans un geste semi-acrobatique, j'en saisis une au vol.

Ma main tremble à l'idée que mon appréhension soit juste.

Elle cherche la fente de l'appareil mais avant ça, comme pour réfléchir, décompose tous ses gestes.

Burlesque. Automate en suspens.

Sillon rayé d'un vinyle qui oublie la note suivante.

Mauvais rêve de celui qui court moins vite que le plus lent des animaux.

L'idée me vient d'empoigner cette main paresseuse par l'autre, celle de mon esprit, qui lutte déjà contre elle.

La magie opère, la fente est trouvée par la pièce, et je sais désormais qu'au moins une de mes mains n'est pas traitre.

L'autre le paiera tôt ou tard.

Je me remets en place pour qu'après tant d'efforts, je me rende compte en fait que rien n'a bougé. Ni le sable, ni elle-même, ni la gaze sur elle...

Le journal non plus.

A l'envers, cruellement et toujours à l'envers, ni frotté ni de loin ni de

près par le vent qui pourtant fait au moins vivre mes cheveux.

Je doute.

Suis-je vraiment là à assister à un spectacle sans nom ou alors, le sujet d'une autre scène dont quelqu'un partage mon doute?

Quelle drôle d'idée, de penser à ça?

Je me frotte les yeux pour me réveiller.

L'objectif rejoint, ma vue fixant cette forme au loin, il n'y a aucun doute.

L'objet curieux qui me renverse à chaque seconde est bien présent.

L'heure tourne, vite puis au ralenti, comme dans un Paso Doble pénible.

Le soleil avare de sa présence commence à rejoindre l'horizon dans une course contre moi.

Il fera bientôt tard.

Alors je me mets à souscrire à un plan.

Mon cerveau se projette dans une idée qui devient multitude, comme pour me perdre, presque pour me prévenir d'un danger intangible auquel je n'aurais pas pensé.

Mais...

L'esprit n'y est pour rien si je continue à enfoncer mes jetons dans ce qui me trouble tant.

Pour rien si je prends maintenant des allures de matador pâlot asservi par un destin qu'il ne maîtrise pas...

Cette fille m'a encorné, je suis percé et le seul pansement qui pourrait me soigner semblerait être ce linge qu'elle porte.

Cela prend une nouvelle forme.

Ce que je me suis interdit tantôt devient bientôt inévitable. La seule vérité. Ma seule échappatoire à cette petite mort.

C'est l'envie à présent qui reprend le dessus.

Et c'est l'envie qui pousse mon corps à se défaire de sa torpeur. Trop longtemps à l'écart, trop longtemps immobile, trop longtemps raisonné, il faut qu'il s'occupe autrement. Qu'il prenne le large.

La folie des pièces et de la lunette qui rapproche tout en m'éloignant d'elle est belle et bien passée.

Une évolution dans nos rapports. Elle et moi allons en faire les frais.

Elle est loin. Mes affaires dont j'ai oublié le sens reviennent à moi et il me faut les rassembler pour aller de l'avant. Ne rien oublier. Partir entier.

Je ramasse donc les pièces de monnaie tombée dans l'urgence.

Je les range dans la même poche qui les a expulsées.

Remets mon sac sur mon épaule, qui en quelques minutes, semble avoir supporté tous les doutes du monde. Avant de la rejoindre, je regarde encore jusqu'à la fin de mon denier cette scène qui me verra jouer un rôle d'ici peu.

Je vois d'ici mon entrée en scène.

(Je la devine au moins comme on devine l'acteur au texte mal-appris, souffrant de la présence d'un souffleur d'une autre œuvre, appuyé derrière le grand rideau carmin, qui se moque un peu.)

La route qui mène à la plage est longue.

Ce n'est pas une ligne droite, c'est un parcours.

D'abord, en déceler les pièges.

Ensuite, ne pas se perdre.

Je la vois, devant moi, à une centaine de mètres mais je ne me dis pas que cela sera simple, ni sans embuches.

Une fille immobile n'est pas simple.

Un homme qui se faufile autour n'est pas simple.

Des oiseaux figés dans une enclave, ce n'est pas simple.

Alors je me méfie.

Toujours cette envie qui défie tout le reste et balaye l'inconnu qui me ferait fuir d'habitude.

Il faut que j'avance.

Si cela peut m'aider à traverser le désert qui nous sépare, j'en compterai les pas. L'algèbre sait tellement rassurer l'Homme moderne.

Je les sais nombreux, moins évidents, en nombre croissant et toujours plus terribles.

Devant moi quelques marches.

Elles ressemblent au ponton en bois, mais je ne sais pourquoi.

Lui est en bois. Elles en ciments, mais un peu sales...

Lui craque sous mon poids. Elles ne font qu'un bruit sourd.

Lui me réchauffait les pieds que j'avais nus sur lui. Elles me blessent et me meurtrissent par leur nature féroce. Diamants brutes sur une chair tendre.

J'avance tout de même.

Derrière les marches enfin dévoilées jusqu'à la dernière, je me retrouve plus bas, beaucoup plus bas. Un nouveau monde dans un nouveau décor, un nouvel étage pour une nouvelle vie.

Face à un mur de planches un peu plus hautes que moi, l'espace dans

lequel je me suis invité s'en trouve effacé. Peut-être pas effacé, mais en tout cas exclu.

Encore le même stress qui me prend.

Et si elle bougeait? Encore.

Je me démène contre cette idée et prends l'initiative. Il faut que je passe.

Je juge la qualité du bois; Médiocre. Planches de pins bon marché dont le soleil, le sable et même les embruns semblent se repaître depuis bientôt 10 ans.

Juge de la hauteur du mur; Franchissable. A peine plus haut que ma vue, d'une hauteur d'homme que je suis encore. J'ai toutes mes chances.

De la distance des premières portes ou interstices de l'édifice enfin; Ni près, ni loin... Au pire ou au mieux; acceptable.

Mais un drame. Non! Une épreuve de plus dans cette course délirante.

Cette fois ci, c'est ma tête qui se fige.

C'est le monde de ma tête qui s'en trouve à l'envers.

Celle qui m'a sauvé de ma main rebelle il y a peu se retourne contre moi.

Il me faut réagir. Réagir au plus vite.

Je trompe le temps malgré moi. Mes mains me roulent une cigarette.

Ce n'est pas le moment, je n'en ai pas envie. Il me presse comme les grains d'un sablier cupide et affamé.

Faute de tête, faute de mains, je m'en remets aux pieds, qui captent mon signal.

Au fait de ma détresse, ils se jettent en grandes ondes d'abord, et puis en pluie tambour, enfin tonnerre violent et font la barricade se fondre

en souvenir... Une bonne raclée...

Tout se débloque.

Je débloque.

Dans une même soirée autant de mutineries intestines, je me demande si tout cela en vaut vraiment la peine.

Pas évident le courage qui nous manque ces jours là.

On aimerait tant fuir ou juste s'éveiller.

Mais à travers les roseaux fragiles que je découvre en face, je devine l'infante.

Il ne manque presque rien pour en être à mi-chemin, puis aux trois quart, et puis tout près, juste à côté, mais il me reste le sable.

Ce sable qui ne bouge pas. Qui n'a jamais bougé depuis que je suis là à l'observer. Un sable mort.

Je le redoute. Il est nombre imposant contre moi, et si la seule idée de le combattre m'effraie, celle de battre en retraite me semble encore plus compliquée.

Ni trains vers elle.

Ni taxis.

Il faudra que je compte sur les seules choses qui m'ont fait défauts à présent, mon corps et mon esprit. La fière allure que cela prend!

Afin de me rassurer, je me rappelle qu'il y a bien des oiseaux qui ne savent pas qu'ils volent et ça ne les empêchent pas.

La relativité admise, je regarde devant moi, le plus avant possible sans détourner les yeux du but de ma visite.

Je respire à grand air mais l'air ne rentre pas.

Pas encore!

Cette journée m'a appris qu'il faut savoir ruser parfois.

Je m'imagine alors, avoir un ventre énorme, stupéfiant, titanesque et en lui une multitude de jarres, et dans cette multitude de jarres les atomes qui me manquent. Je respire à grand air, les yeux fermés, les urnes immenses en tête et fort bien dessinées et l'air enfin pénètre.

J'avance je crois.

Un, deux, trois et la forme fébrile qui retient mon attention depuis presque 3 heures se fait plus trouble. Quatre, cinq, six, sept.

Mon pied cogne un os, l'aplati même dans un craquement léger. Cela attire mon attention et découvre le spectacle chaotique d'une colonie de mouettes tout à fait décharnées. Squelettes et plumes collés laissant un goût terrible à cette plage. De la vie, il y en a autour. Quelques crabes affamés, des insectes et le sel qui ronge tout. Que s'est-il passé ici pour que la mort fleurisse autant ?

Huit, neuf, dix, onze, douze, je traverse les algues fraiches qui dessinent des virages. En oubliant moi même qu'il me faut filer droit je me prends à les suivre. Comme un jeu amusant du temps de mon enfance. Je parcours le cercle que les goémons laissent apparaître sans pour autant quitter des yeux cette femme enfant qui ne s'approche plus. Ce n'est pas si grave, cela m'apaise et me fait oublier les fatras hallucinants qui m'ont presque perdu et semblent disparaître.

Elle pourrait être gazeuse maintenant ma douce agonie. Si je distingue ses formes encore quand mes yeux la regarde, je n'en sais plus le sens, encore moins la nature.

Le tissu pourrait être le journal.

Le journal renversé son corps et puis son corps le reste.

Un joyeux imbroglio. Un triste imbroglio.

Par ce fait tout nouveau de cette récente image imposée à moi, l'envie me quitte de la connaître mais la curiosité elle, reste intacte.

Je jouerai d'un peu d'algues encore.

Pendant que je circule, une pensée s'incruste. Un constat.

Cela fait trois, quatre tours que je fais autour d'elle. Du cercle que je dessine, je sais qu'elle en est le centre, mais alors, pourquoi n'est-elle jamais en face?

Encore la même image, son dos, journal et gaze.

Toujours la même image que je voyais au loin.

 

En fait, je ne sais pas faire distance plus courte, d'une manière ou d'une autre, ne sais rendre cette image plus contemporaine. Elle m'échappe ou me fuit.


 

Peut-être est-ce moi!

Mon jeu prend fin.

Assez tourné autour pour en ressentir l'ivresse, je perçois une route très fraîchement tracée.

De ce pli à elle, ne reste que quelques pas.

Oscillant d'un bon rythme, je vais vers ce nuage d'une femme qui s'évapore sous mes yeux impuissants. Ils ne sont plus témoins mais badauds.

Je ne l'ai pas rêvée cette femme. Elle, son vêtement de fortune, sa tête retournée et ses pages à l'envers faisant office du masque le plus complexe.

Pas non plus rêvé mon désir de l'atteindre quand, puisant dans ma mémoire, refaisant machine arrière, je retrace les doutes et les douleurs que mon corps a payé jusqu'ici.

Le prix.

Le prix.

Le prix.

Un chèque en bois flotté pour tout paiement quand j'arrive à la place qu'elle devait occuper la seconde avant moi.

Que penser.

Je m'assoie finalement sur le bord de ses empreintes que des débris de coquillages dessinent. Je remplace. Elle rend place.

Il fait froid.

Il fait froid et j'ai honte d'avoir cru en ce spectre hallucinant...

J'ouvre mon sac.

Prends mon turban.

Le pose sur mes épaules qui ne portent plus que ça, qui se disperse au vent dans un mouvement de drapeau que la colle a figé.

Attrape le journal machinalement que je porte devant moi. Comme une protection, un mur ou un paravent ou un geste que je connais.

Mes yeux traînent sur lui et je n'y comprends rien, ne sais plus lire une phrase sans trop savoir pourquoi...

Mais là n'est pas ma souffrance.

Je ne me rappelle plus d'elle déjà.

Comment était-elle? Pourquoi l'ai-je su? Qu'ai-je vraiment su?

Et puis cette sensation que quelqu'un me regarde au loin, m'espionne peut être. Mon poitrail compressé commande à ma tête de s'appliquer tête-bêche qui fait mon cou se tordre dans un déchirement terrible et, au bout de ma mire, une personne sur la digue me regarde je crois.

Elle porte un tulle sur les épaules et...

 

La manquante

Sol

 

C'était vide.

Creux.

Un linceul troué dans l'abime de la ville.

Il y avait le soleil,

Il y avait les ombres.

Ce qui vivait le plus, c'était ça.

Les gens, vivant face à eux perdaient ce spectacle servit par l'astre qui se démenait.

Ecrire

Il se laissait rêver à écrire. De nouveau.

Bien longtemps, suspendu au vide des phrases qui le transpercent ou l'effleurent ou juste parfois ne semblent ne laisser de traces. Aucunes.

Ce qui l'avait encouragé était ce désir de recevoir un baiser esquinté et parfumé de tabac blond.

C'est ça qu'il voulait pour nourrir ses histoires, c'est ça qui lui manquait pour dépolir son âme. Les sentiments à part, la gueule pendante, l'esprit brume, puis gouttelette, pluie et enfin nuages.

Les choses hors de portée et comme sans suffisance, prennent le chemin du vent contraire...

L'écriture... Il fallait peut être la mériter.

Sortir les rames du plus bel arbre que l'on fût.

Se prendre pour autre chose.

Se mentir peut être.

L'écriture...

Quelle histoire pousse maintenant en lui?

Quelles histoires sans racines ne le peuvent pas?

De trop penser à tout, c'est ne rien voir du tout qui le met en souffrance aujourd'hui.

L'œil raclé du borgne qui raconte ce qu'il entend à l'œil qui voit.

Une pensée à peine consommée, une réalité détruite et par un miracle, le renouveau qui s'expose à lui, lui éclate à la face, lui brûle la paupière (qui reste) et rend à moitié fou, cette douce moitié humaine. Animal prestigieux qui dévore en lambeaux les quelques bruits censés qui parle à son écho...

L'écriture...

Méprise

Lui épris de la mer commençait à en compter les vagues.

Un peu plus tard, l'oeil distrait, il croisait le ciel, en comptait les nuages.

Il passait à côté de quelque chose qui aurait pu le combler en se rendant compte que tout cela ne faisait qu'un. 

Asphalte

 

Il a une route.

Une route entonnoir que la vie se charge de gaver en tôle, en pneus et en options ridicules.

Les hommes à l'intérieur ne le sont pas moins.

Tous à regarder le même horizon, à attendre la même fin (chute).

L'asphalte, écrasée sous le même poids multiplié par le nombre du plus grand gabarit qui la traverse.

L'asphalte qui s'effrite laisse une peau rongée par la vitesse et les freins.

Un va et vient permanent qui l'empêche de se couvrir à nouveau si bien que, pour panser ses plaies, nulle autre réponse que l'arrivée des secours, bitume brûlant empaqueté sous une bâche noircie, comme pour cacher le pansement dégueulasse.

La route des vacances est pour ainsi dire cette oie que l'on gave pour Noël.

Comme autant de véhicules, elles attendent leur tour.

Tout. Oui, tout semble une farce ayant pour seul principe de remplir un vide que la nature a laissé derrière elle sans s'en soucier.

Tout est là.

Un encombrement dont seul l'être humain peut se contenter.

Les arbres exotiques tordus en trop grands nombres aux abords des routes raides.

Des panneaux qui inondent les yeux, qui noient l'iris rougit.

Les traces blanches à terre, longilignes, courbes et fourbes parfois, déesse cocaïne des soirées Palaciennes des années 80.

Encore une fois cet horizon trop rude pour ceux comme moi qui ne regardent qu'en l'air.

Le plus grand nombre ne s'embarrasse pas de tout cela.

C'est tout droit.

C'est à gauche et enfin à droite, faites demi-tour… Pléthore et cascade de mots dans leur espace vital sur roulettes qui bouchonnent aux oreilles mais ne dérangent pas, quand eux-même ne savent pas écouter ceux qui, plantés sur un trottoir, leur demandent une attention particulière, un instant.

Ca bouchonne aussi par là.

Dans les crânes, tempête.

Vent qui s'engouffre dans chaque orifice et goûte au tourbillon chancelant d'un brainstorming quotidien.

Les ordres, les missions, les chiffres, les valeurs désuètes, les chiens fous, astres fébriles, les paupières tombantes sur une vérité déçue.

Litanie aussi dans chaque sphère qui nous enferme.

En l'instant, je ferme les yeux et fais le vide.

Je rêve de vide.

De vides.

Avide, je suis un désert de certitudes et en pointe une terrible.

Les cimetières aussi, pensais-je, nous attendent et s'engorgent.

Le dernier embouteillage de nos vies mal remplies.

 

 

 

 

La rue

Je pourrais être au bord d'une rivière au courant furtif, inondée de pâles lueurs qui se mélangeraient au vert des brins d'herbe insistants.

Je pourrais tout aussi bien être seul dans cet espace sous vide.

Je pourrais ne pas être ici, c'est ça que je tente de dire.

 

La chaleur accablante que les gens vivent aujourd'hui les poussent à sortir.

Au bord d'une terrasse les ombres hâlées se meuvent avec peine.

Moi je suis caché. C'est une habitude chez moi.

D'autres font ça très bien aussi avec une carabine en haut d'une colline ou d'un clocher.

Moi je me contente de regarder.

 

Un oeil de travers lui aussi caché derrière de sombres lunettes propose une intimité par défaut.

Il y a tant de catégories que cela semble impossible de les relever toutes.

Générationelle.

Sociale.

Ethnique.

Et je suis déjà épuisé d'y penser.

Je préfère alors parler de situations car même si elles aussi sont multiples, elles ne s'engagent et ne se proposent qu'une à une face à moi.

Il y a le papa gâteau qui ne se déplace qu'en poussette et ne cessera d'arpenter la rue qu'à l'usure des roues de ce carrosse qui en dit plus long sur lui que tout le reste.

L'étudiant fauché par le blé qui scrute sa survie dans les trottoirs gras de la ville.

Ses trésors sont :

La pièce tombée du porte monnaie que la flemme de son propriétaire n'a pas su relever.

Les mégots des fumeurs insouciants qui gisent à même le sol et que l'air chaud n'a pu consumer.

Parfois aussi, un reste de sandwich laissé là par une obèse qui, après deux autres, n'a pu engloutir tout son dû.

Tant de choses que nous ne regardons pas mais que lui recherche. Qui fera de lui un consommateur de seconde main. Le temps lui est compté.

 

Plusieurs situations mais toutes caressées par ce soleil brûlant et l'espoir ombré, pour chacun, d'un troquet qui fait les gens me rejoindre à cette terrasse et je suis cerné, entouré, pris en otage, assombri par tant de présences et ceci, d'un seul coup. En un élan fugace.

 

Je n'écoute rien.

J'ai autre chose à faire.

Garder mes a priori, juger le bon ton des lèvres qui bougent seules devant le vide que leurs interlocuteurs produisent dans une moue fébrile.

Bouches tuméfiées, botox engagé, regard batracien et peaux à peine repassées, plus brunies par la mode que le soleil. Les visages pâles sont morts et l'été des magazines a la win.

Cela encore m'est permis. Mais pas d'écrire sur le voisin ou la voisine de tablée qui scrutent l'écran dans lequel mon traitement de texte suscite toutes les interrogations.

J'attendrai la prochaine fournée pour en jeter quelques mots lâches.

 

Face à moi, le mouvement se fait plus lent, rend la tâche plus facile. Un ralenti bienvenu qui m'autorise à souligner les traits les plus fins mais que je garderai pour moi.

 

Environ toutes les 10mn, un personnage d'une singularité particulière se jette à ma vue comme un sacrifice.

C'est une démarche, une tête, une façon particulière de retenir à leur vue la plus simple des choses, comme un miroir dont les horreurs qu'il reflète se brisent en croisant quelqu'un à l'allure fauve et qui lui rappelle efficacement qu'il ne sera qu'une merde pour lui, et ce, jusqu'à la fin des temps.

 

Ne pleurez pas ces personnes d'hors série, elles ont l'habitude d'être niées et la société s'occupe bien de leur rappeler leur condition quand, le soir tombant, elles s'infligent chips, coca et junk food devant la boite à cons qui fait recette grâce à eux. Ainsi se motivent les simples.

 

Bimbos filles et bimbos mères passent. Il est l'heure de s'habiller de concert. Dire au monde que ces liens vestimentaires ne les quitteront jamais, que la vie elle même sera rythmée par cette ressemblance qui finira bien par tomber avec l'âge et chemin faisant, s'enfoncer dans une différence meurtrière!

Plus c'est court plus c'est chaud.

Plus c'est coloré, plus c'est chaud.

Les femmes cougar faisant la nique aux plus jeunes, allure guépard, qui se fondent dans une course au crime.

Qui tuera l'homme gourmand la première?

Elles ont toutes deux des arguments, elles le savent, et les gens comme moi s'en moquent mais apprécient le spectacle navrant de cette course de panier de crabes.

Tout va de travers.

 

Pendant qu'un vieil homme nettoie le trottoir, je pense à mettre ce texte en PDF pour un résultat sympathique.

J'ai changé et je le sais. Pas vraiment du tout au tout, mais j'ai appris l'indifférence parfois.

Cela n'évite pas l'empathie je vous rassure.

Comme quand je vois ressortir un couple d'Etam après une demi heure d'errance dans ce magasin qui vend presque du rêve, le seul rêve qui me vienne est que cela ne m'arrive jamais.

Ville jeune et déjà ridée.

Ville vinyle qui offre 33 tours de piste dans une frénésie de vitrines que l'on entend tout les jours à la radio. Hygiaphone bruyant. Acteurs et moi public largué et en peine.

Ce n'est pas une souffrance ni un écueil mais une juste réalité ajustée sur un oeil de travers. Un de plus…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Topographie d'un journaliste de chambre

L'obscurité me laisse croire au mérite des bêtes de somme après une journée de labeur.

Il n'en est rien.

Un leurre fumé des gaz de villes, étouffants et gras, de ceux que l'on peine à respirer.

Qui, dans d'autres circonstances entraîne les idées bien plus sombres que l'on ne peut que subir.

Mutée la vue.

Muets les sons sourds d'une ville à l'agonie.

Râle grattant les gorges d'une fourmilière synthétique, larmes acides d'une femme faisant la manche à la hauteur des pots d'échappement aux 3 parfums de notre époque industrielle.

Nos vies qui suffoquent.

Enfin, la vie tant qu'on peut la voir ce matin.

Il est tôt, je suis debout et ça ne me ressemble pas.

Quelque chose à dû se passer cette nuit pour la raccourcir autant, mais, gueule de bois, bars en tête, j'ai dû vomir quelque part...

Enfin, je m'entraîne à sortir, d'abord de ma torpeur, plus tard de chez moi.

Un café, une clope, un café, une clope, danse noire et blanche qui pavane devant moi.

Je fume beaucoup en ce moment, et crache un peu de sang dans un évier peuplé de vaisselle vide et dégoûtante.

Faudrait remplir.

Nourrir les assiettes, salir les couteaux et verdir, rougir, jaunir les fourchettes mais...

La pitance coûte chère en ce moment et ne fait en rien oublier sa condition.

La radio aussi souffre en silence. Une voix d'abord, ça parle de heurts, de combats, de moiteur lourde, de condition sans air conditionné.

Ca broie sec du noir.

C'est les bayous là-dedans.

Blues qui me rattrape, sa suinte la misère.

Ca dégouline d'inhumanité, l'e-humanité faudrait que j'y passe d'ailleurs, mais plus tard.

Pour l'instant, je passe la tête à travers le mur qui me sépare des autres et ne vois que des ombres glissantes.

D'ici, elles se font limaces sous stupéfiants et c'est moi qui hallucine.

D'ici, ma condition est moins étrange.

En bas, un charivari qui ne ressemble à rien de répertorié ou plutôt à rien de ce que je pourrais reconnaître.

Mes yeux habitués par les nombreuses leçons de télévision semblent apercevoir une scène de ménage. Scène que je ne connais pas moi-même.

Il faut être deux pour ça.

Il faut certainement avoir des projets pour ça.

Il faut peut-être même être amoureux.

 

C'est bien ces différences qui éveillent en moi la curiosité malsaine et me fait ouvrir en grand la fenêtre pour profiter ainsi du vacarme qui fait sons étrangers et écho muet en moi.

Je détache de ma table ma tasse de café refroidi par la fraîcheur matinale et en ôte une mouche suicidaire.

M'allume une clope, la dernière mais il me reste quelques feuilles qui accueilleront les quelques mégots que j'éventrerai dans une faim frénétique de goudron, nicotine, arômes artificiels ou encore pléthore d'agents conservateurs. La matinée va être longue, mais je suis au spectacle. Je fume la scène devant moi.

 

 

Un homme, une femme qui partagent la même tendresse pour la violence redessinent la rue dans un parcourt chaotique.

Elle lui susurre des mots d'amours, les mêmes qu'elle aura entendu dans une mauvaise télé-novela rediffusée 1000 fois et dont elle apprécie à la césure prés la moindre réplique.

Lui la tire par les cheveux avec une force peu commune, pour un gars d'apparence si frêle, et me fait apparaître la course de la jeune fille comme un vol d'hirondelle tant ses pieds évitent le sol rugueux de la rue.

Comme de coutume, les gens autour traversent l'espace de la même façon que l'on parcourt un mauvais livre. En diagonale, ils n'apprécient pas l'action à sa juste valeur, ils passent à côté sans en goûter la moindre nuance. A croire que les mots qui s'y passent, n'ayant pas la saveur escomptée ne les intéressent pas et empêchent la moindre empathie. Ils fuient du regard, transpercent les deux acteurs tel un mur de fumée aux formes semi-humaines.

Pareil pour les cris, vite dépassés par leurs pensées égoïstes, semblent disparaître et rejoindre ce sentiment d'indifférence générale.

Je ne vaux guère mieux.

A ma fenêtre, fumant mes vices, je laisse tomber une cendre dans la tasse qui ne contient maintenant qu'un jus abject (puisque que je m'interdis de le nommer autrement, tant de choses s'y étant échouées depuis ces 10 dernières minutes), et je me sens au moins aussi dégueulasse que les blaireaux traînant la patte dehors.

J'ai cependant quelque chose qu'ils n'ont pas, c'est cette coriace curiosité qui passerait presque pour de la compassion.

 

La fille vole toujours sans trop de mal, c'est dire l'importance des efforts que le mec emploie à cette tâche.

Pourtant, fatigue aidant, car elle se débat plus qu'une proie ne le ferait d'habitude, elle semble atterrir sur ses genoux plombés.

Raclant le bitume qui ne s'abime pas sous elle, ce dernier lui écrit une histoire en l'écorchant, dessinant des cailloux, des éclats de verres ou encore des fragments de bois et d'écorces que les arbres malades des villes sèment sur la peau de la rue, dans un ultime espoir de repeuplement d'une espèce primitive en déclin.

 

Bientôt, c'est le goudron du trottoir, celui-là qui abîmait la jeune fille qui semble marqué par elle. Un rouge coule de sa jambe blessée qui rappelle les mouvements de pantins désarticulés qui ont fait les grands moments de la télévision américaine des années 50, ventriloques sur la sellette pour une trop brève période avant de finir pendus ou troués d'une balle dans la tête dans des chambres d'hôtels miteuses, derniers temples de leur décadence et de leur gloire oubliée. Des mouvements que rien ne contient et qui redessine la ville en carmin.

 

Et cette ville prend son visage.

Yeux avinés, le reste de son minois décoré d'un puzzle rubicond, elle laisse deviner une bien triste existence.

Cheveux en nombre mais pas assez, sales et tombant sur des seins eux même tombant sur un ventre harassé, elle ne semble être portée que par ses vêtement sales. Papiers collants tue-mouche sur elle comme aspiré par un suif fondant dans son combat et qui perle et tapisse le reste.

D'où je suis je ne vois pas ses bras troués mais je peux les deviner, je les renifle.

D'ici, c'est plus facile à encaisser.

Il y a juste le masque qu'elle porte, maquillage d'une huitaine de jours qui, ayant durci, lui offre un masque presque humain, personnage poignant du théâtre Nô, c'est Hannya en personne et ça me trouble.

 

Des flics passent à côté, ils ne la reconnaissent pas et puis les faits divers, ils n'en ont rien à foutre.

 

Le bourreau non plus d'ailleurs n'en a rien à foutre d'eux si bien qu'il continue à œuvrer sous les sirènes hurlantes à la ville que tout ne va pas bien.

Il continue donc à la déplacer, à la tirer vers lui.

C'est peut être ça son truc.

Il ne paye pourtant pas de mine, le bougre.

Il pourrait être grand, mais il ne l'est pas.

Il pourrait en imposer par une musculature ou un charme quelconque, mais cela aussi lui fait défaut.

Sa peau, si on en croit sa pâleur, reflète le peu de lumière que le matin nous sert et semble se dérober à lui.

En trop grande quantité, elle dépasse de sa carcasse trop menue pour l'accueillir et m'apparaît comme celle d'un autre, un malade qui lui aurait fait ce don dans une démence absurde et fort mal calculée si bien qu'elle semble s'échapper de lui.

De la même façon, je ne discerne pas trop son cuir de ses fringues si ce n'est qu'ici et là, de temps à autre, un motif de sa chemise semble en délimiter la frontière. Pour nous mentir, certainement nous faire croire à quelqu'un.

 

Le temps de crever quelques mégots pour m'en confectionner un nouveau, j'aperçois à une vingtaine de mètre du couple furieux, un éclat, et derrière cet éclat, un enfant de 15 ou 16 ans pas plus, morve au nez, cheveux en bataille et vêtements tout autant.

Je roule ma clope et il commence à courir vers eux.

Un petit flash qui s'impose à moi par intermittence, je ne sais pas ce que c'est. C'est quelque chose qu'il tient en main, et ça brille des fois.

 

Il arrive enfin à la hauteur du pauvre type et par un tour de magicien, fait disparaître l'éclat en lui (au niveau du cœur) qu'il accueille dans une clameur effroyable.

Il me faut quelques secondes pour réaliser ce qu'il se passe et pour comprendre que ce n'est pas l'homme qui hurle d'ailleurs, mais la pauvre suppliciée qui en explosant en un son, a arrêté le temps.

Le temps et le reste.

Les voitures comme en panne.

Les badauds comme morts.

Les oiseaux qui tombent dans un dernier élan d'une chute programmée.

Tout maintenant tourne autour de ce bruit d'outre-tombe qui recouvre le reste.

La tuméfaction, autour du peu de dents de la plaintive que l'on pourrait presque considérer encore comme étant une bouche, est fixe.

Elle même, son corps tout entier est figé. Rien que ce râle strident qui sort de cette cavité à peine sensible prouve que la mort ne l'a pas emporté.

Une espèce d'hygiaphone humain et moi, j'hallucine.

A mon tour d'hurler.

1mn que je sèche sur cette vision fantasque que j'en oublie mon allumette qui, elle, n'oublie pas de me brûler les doigts.

Rien ne va plus.

Ce matin, il n'était pas bon de traîner une fille sale dans la rue, ni d'être au 2eme étage d'un clapier miteux.

 

 

 

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